L’atteinte veineuse au cours de la maladie de Behçet
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https://doi.org/10.54695/mva.66.02.2235Mots-clés:
maladie de Behçe, thromboses veineuses, anévrysmes, manifestations vasculaires.Résumé
La maladie de Behçet (MB) est une affection systémique dont l’étiopathogénie est en grande partie non
connue. Elle est caractérisée par un grand polymorphisme
clinique avec une fréquence particulière des manifestations dermatologiques qui représentent trois des quatre
critères de classification de la maladie adoptés par
l’International Study Group. L’atteinte vasculaire, dite
« angio-Behçet » ou « vasculo-Behçet » est particulière par
certains aspects car elle est surtout observée chez des
hommes jeunes sans facteurs de risque thrombotiques ou
cardiovasculaires. Tous les vaisseaux, quel que soient leur
type (artériels ou veineux), leur calibre ou leur localisation
peuvent être touchés, avec souvent des manifestations
vasculaires multifocales.
L’atteinte vasculaire est grave, considérée comme la
principale atteinte pouvant engager le pronostic vital; elle
justifie ainsi une prise en charge thérapeutique rapide et
agressive.
L’atteinte veineuse recouvre 80 à 90 % des atteintes
vasculaires, elle est en moyenne retrouvée chez un tiers
des patients. Elle est décrite à tous les âges, et survient
dans plus de la moitié des cas au cours des cinq premières
années de l’évolution de la maladie. Cette atteinte peut
précéder ou peut être le mode d’entrée dans la maladie
dans prés de 10 % des cas. Elle est ainsi l’occasion de
rechercher d’autres manifestations cliniques permettant
de la rattacher à la maladie, souvent négligées car considérées comme banales (aphtose bipolaire, pseudofolliculite). Elle peut être accompagnée d’une fièvre et d’un syndrome biologique inflammatoire qui sont plutôt rares au
cours de la MB. D’un autre coté, la mise en évidence d’un
syndrome inflammatoire et/ou fébrile inexpliqué au cours
de la MB doit inciter à rechercher une atteinte vasculaire
latente.
Les thromboses veineuses profondes des membres inférieurs sont les plus fréquentes et représentent 60 à 70 %
des localisations veineuses de la maladie. Elles sont souvent bilatérales ou à bascule. La découverte de cette
atteinte au stade de syndrome post-thrombotique évolué
n’est pas rare. Les thromboses veineuses superficielles sont
également fréquentes. Elles sont fugaces, migratrices,
volontiers récidivantes, et sont classiquement intégrées au
sein des atteintes cutanées où elles sont confondues avec
un érythème noueux. Elles sont souvent associées à des
thromboses profondes, voire même à une atteinte artérielle. Il est classique de les rapporter comme une complication des ponctions veineuses périphériques et sont particulièrement évocatrices lorsqu’elles compliquent les
points d’injection d’héparine.L’atteinte des gros troncs veineux est fréquente, les
thromboses caves correspondent à la deuxième localisation de l’atteinte veineuse au cours de la MB et regroupent
près d’un quart des cas des manifestations thrombotiques.
Un syndrome de Budd-Chiari ou une thrombose porte doivent être rapidement évoqués devant une ascite, une
hépatomégalie douloureuse, voire une simple altération
du bilan hépatique. Les thromboses veineuses cérébrales
sont rapportées dans 5 à 10% des MB et représentent
30% des manifestations neurologiques. Elles ont une
sémiologie souvent stéréotypée : céphalées importantes,
inhabituelles et baisse de l’AV. La visualisation de ces
thromboses est rendue aisée par l’accès de plus en plus
facile à l’angio-IRM. Enfin, les thromboses intracardiaques
sont extrêmement rares mais sont reconnues comme une
complication classique de la MB. Elles, touchent essentiellement le cœur droit et sont fréquemment associées à
d’autres thromboses veineuses.
Les thromboses veineuses au cours de la MB ont un
caractère emboligène moindre que les thrombophlébites
idiopathiques, du fait des phénomènes inflammatoires
pariétaux qui rendent le thrombus plus adhérent. Les
embolies pulmonaires sont cependant rapportées dans 10
à 15 % des cas et sont souvent associées à des anévrysmes
des artères pulmonaires ou à une thrombose intracardiaque droite.
Au plan physiopathologique, l’atteinte thrombotique
est majoritairement en rapport avec les lésions tissulaires
de vascularite pouvant toucher les vaisseaux de gros,
moyens et/ou petits calibres. À coté de cette atteinte
inflammatoire, le rôle de facteurs thrombophiliques acquis
ou constitutionnels n’est pas vérifié.
Les attitudes thérapeutiques de cette manifestation ne
découlent pas d’études randomisées ou comparatives. Il
s’agit le plus souvent d’études rétrospectives et observationnelles. Il se dégage cependant clairement que ces cas
de thromboses doivent bénéficier d’un traitement visant à
réduire l’inflammation pariétale. Une corticothérapie orale
(0,5 à 0,7 mg/kg par jour) permet de réduire rapidement
les symptômes cliniques. Elle peut être précédée dans les
tableaux aigus, inflammatoires et graves, par un bolus de
methylprednisolone (1 g/j pendant trois jours).
L’adjonction d’azathioprine en cas d’atteinte récidivante
des membres inférieurs, voire d’emblée dans des cas de
thrombose extensive, de thrombose cave ou de thrombose
cérébrale permet de réduire le nombre et le risque de récidive. Dans les tableaux cliniques d’emblée sévères (syndrome de Budd-Chiari, thrombose porte…), le cyclophosphamide mensuel peut être préféré en première intention,
relayé après six à 12 mois par l’azathioprine. La durée du
traitement immunosuppresseur n’est pas consensuelle,
variant généralement entre trois et cinq ans.
Le traitement anticoagulant est toujours proposé d’emblée pour une durée totale non codifiée. Le bénéfice de ce
traitement n’est pas démontré, d’autant que le risque
d’embolie pulmonaire est minime et que les anomalies de
l’hémostase ne sont pas au premier plan dans les thromboses au cours de la MB. Cette prescription peut même
s’avérer dangereuse car ces patients ont souvent en plus
une atteinte artérielle anévrismale à haut risque hémorragique. Ainsi, les dernières recommandations de l’EULAR
dans la prise en charge de la MB ne préconisent pas la
prescription systématique des anticoagulants dans ces
cas. Cependant, devant la pauvreté des études réalisées
dans ce sens, il reste raisonnable de proposer systématiquement un traitement anticoagulant en l’absence de
lésion à risque de saignement (anévrismes), d’autant qu’il
s’agit souvent de sujets jeunes, n’ayant pas un risque
hémorragique majeur.