une vision et un projet

Sécurité Globale : une vision et un projet

Xavier Raufer, rédacteur en chef de Sécurité Globale

Été 2020

Pourriez-vous d'abord nous parler de la revue Sécurité Globale et de votre parcours. Aussi, de votre rôle et de vos fonctions au sein de la revue.

X.R. : Une carrière (tout ou partie) universitaire comporte diverses obligations. Quand on est considéré comme maitrisant son sujet, hors les livres à écrire pour établir son statut d'intellectuel, on vous demande souvent de diriger une collection de livres et/ou de diriger une revue académique. Les paroles s’envolent, les écrits restent : ce que vous avez observé, analysé, pensé, doit migrer vers l’écrit : vos propres livres, une (ou des) collection de livres sous votre direction, ou une revue. Au fil des ans, j’ai eu des collections aux Presses Universitaires de France, chez Odile Jacob, à CNRS-édition et aux éditions ESKA. Ainsi, quand S. Kebabtchieff a racheté diverses revues à une autre maison d’édition - dont Sécurité Globale où j’écrivais auparavant...

Q : C’était à l’époque l’Institut Choiseul ? 

  1. R. : C’est ça. J’y écrivais mais n'en n'étais pas le rédacteur en chef. Ce dernier n’ayant pas suivi Sécurité Globale chez ESKA, j’ai rencontré S. Kebabtchieff ; nous avions un ami commun, rédacteur en chef à l’agence France-Presse. Suite à quoi, SK m’a demandé de regarder la revue, voir si cela me donnait des idées. Après deux/trois mois à tourner autour, j'ai réalisé qu'en prendre la rédaction en chef était un défi intellectuel, comme d’organisation ; qu'il était bien plus ardu de diriger une revue que d’écrire un livre ou de diriger une collection. Quand on écrit son livre ou dirige une collection avec auteurs successifs, on a à chaque fois une seule "victime" à "persécuter" - soi-même ou l'auteur - pour qu’elle achève à l’heure ce qu'elle doit faire. Or dans une revue les auteurs sont multiples : son rédacteur en chef ou directeur, peu importe, est une sorte de "chien de troupeau", devant conduire toutes les brebis dans le même sens, en leur mordillant les mollets si elles s'égarent ou rompent le rythme. Donc il y a un défi à diriger une revue - mais passionnant car on y découvre des auteurs. Je développe un peu ce point mal connu. Dans le monde de 2020, il est désormais difficile d’arriver chez un éditeur en disant « Voilà un manuscrit, tu vas le publier ». Pour les essais et l’édition scientifique bien entendu - je n’ai pas idée du domaine des romans - les éditeurs ont largement réduit leurs publications d'ouvrages...

Q : ... Pour le sujet qui nous intéresse...

  1. R. : Plus largement, dans les sciences de l'homme ; il faut chaque fois apporter la preuve qu’on peut passer d’un simple texte à un ouvrage ; d'où, quand on rencontre un éditeur, mieux vaut lui présenter des articles de revues académiques. Elles servent désormais de sas d'entrée et de garantie que le futur auteur a déjà un nom chez les lecteurs de revues ; qu'il a déjà une ébauche de réputation : à chercher son nom sur internet on le trouvera associé à ces revues-là ; ainsi, est-il peut-être mûr pour faire un livre. La revue est la "pierre de touche" établissant que les gens peuvent faire des essais.
    C’est passionnant en criminologie, dans les phénomènes de sécurité globale. Dans ce contexte-là, des idées vous trottent en tête ; vous songez « j’aimerais bien publier un article ou une étude sur tel ou tel thème ». Or bien sûr, on ne sait pas tout soi-même : la revue permet de demander à tel individu déjà connu et sérieux : « j’aimerais que vous traitiez tel sujet. Bien sûr, ce que vous en direz vous appartient, mais le sujet me semble important ». Voilà pourquoi diriger une revue est important et irrigue la vie intellectuelle.

Mais la revue académique a un autre rôle, moins visible mais essentiel. J'aimerais insister là-dessus, en usant de la philosophie, cruciale en pareil cas. De 1936 à 1940, Martin Heidegger consacre divers cours à la pensée de Frédéric Nietzsche ; D'emblée, il y souligne que la vie errante de son sujet a été fort solitaire : il a peu enseigné - donc pas de disciples ; à correspondu avec de rares amis et admirateurs ; n'a vendu de son vivant presque aucun des livres qu'il publie alors à compte d'auteur (Ecce Homo, son seul "succès", 400 exemplaires) ; puis il perd la raison en 1890. Or, insiste Heidegger, quand Nietzche meurt en 1900, toute la planète intellectuelle pense comme lui - ou contre lui ; en tout cas, selon lui. Heidegger signale une exception à la loi bien connue de la Physique d'Aristote : on ne voit jamais une force, seulement ses effets. On ne voit pas le vent, mais des branches d'arbres s'agiter. Cette exception est la pensée qui seule, voyage sans force. Une citation : « D’emblée, une force est toujours énigmatique... On ne peut jamais constater immédiatement des forces : on trouve toujours seulement des performances, des résultats, des effets. Lesquels sont ce qui est tangiblement réel. Et ce n’est que rétroactivement que nous en arrivons à la conclusion qu’il y a des forces » . D'où, bien modestement, l'utilité des revues et de leurs articles, où peuvent émerger des pensées allant ensuite leur petit bonhomme de chemin. 

Sinon, Sécurité Globale n'est pas Paris-Match et tire à quelques milliers d’exemplaires, dont plusieurs centaines pour les bibliothèques universitaires : les achats obligés. Hormis cela, elle circule pas mal, ses articles arrivant sous PDF à tous ceux que j'ai connus dans ma carrière : anciens étudiants, collègues et anciens collègues, etc.

Q : Comme une sorte de réseaux d'anciens élèves ?

  1. R. : Oui. Les articles de la revue circulent à des milliers d’exemplaires. En plus, on envoie à chaque parution, à tout ce réseau, le sommaire complet et détaillé du contenu du numéro qui « vient de paraitre ...» : si ça les intéresse, les récipiendaires commandent alors par Internet, soit un article soit la revue entière.

Q : Pouvez-vous nous en dire plus sur vos articles. Que cherchez vous à susciter chez le lecteur, dans la publication d’un numéro ?

  1. R. : Je cherche à satisfaire la curiosité de qui s’intéresse à la sécurité globale ; pour nous, la face obscure de la mondialisation, tout problème stratégique d'ampleur continentale ou planétaire, hors les thèmes purement défense nationale, pour « militaires en kaki ». Ainsi, nous délaissons délibérément le domaine militaire : sur la dimension défense, il y a d’excellentes revues. Que dire sur les articles ? Soit spontanément des candidats-auteurs contactent la revue - c'est important : ils ont peut-être des idées auxquelles on n'aurait jamais pensé ! Ils envoient des propositions sur le site des éditions ESKA ; on me les répercute et j'y réponds toujours. Quand c’est hors-sujet, je refuse mais pas définitivement : feuilletez de récents numéros de la revue : si là-dedans, une thématique vous stimule, n’hésitez pas à me recontacter car là, j'accepterai.

Q : Donc toujours laisser une porte ouverte ?

  1. R. : Toujours. Pour un prochain numéro, un chercheur m’a envoyé une étude sur les faux médicaments en Afrique, d'abord au Burkina-Faso. Sujet grave ! Ça tue énormément de gens et ça empêche d’en soigner encore plus car ceux qui prennent ces faux médicaments se croient soignés alors qu’en fait, ils restent malades. La malaria tue des dizaines de milliers de gens par an sur le seul continent africain - donc ça touche à la sécurité globale.
    Des fois, des candidats auteurs m’envoient des propositions intéressantes mais pas trop dans la focale. Je leur dis « ça m’intéresse, mais trouvez un angle ou une amorce intégrant la sécurité, le crime ou le terrorisme ». Partant de là, vous pourrez extrapoler, mais commencez par là, pas que la revue divague en tout sens et reste bien concentrée sur "sécurité globale".

Il m’arrive aussi de dire à des collègues ou des experts que je connais « écrivez-moi un article là dessus » ; ou de contacter des auteurs d'un livre récent, pour qu'ils le présentent. Récemment, un expert a écrit un ouvrage de 700 pages sur les impacts des projectiles d'arme à feu sur le corps humain. Formidable étude criminalistique d'échelle séculaire : la médecine légale au meilleur sens du terme. Je lui ai envoyé des questions, qu'il écrive les réponses - pourquoi importe-t-il en 2020 de publier un ouvrage sur les impacts de balle sur le corps humain - donc les victimes etc.
Ensuite quand j’ai assez d’articles sur un sujet, j’en fais des dossiers qu'on publie dans la revue. 

Q : Pourriez-vous nous parler du contact que vous entretenez avec les comités de rédaction, en somme les auteurs de la revue ? 

  1. R. : Le comité de rédaction existait car la revue paraissait depuis des années ; je l’ai fait évoluer pour qu’il comprenne des collègues ou amis de la diplomatie, du monde de la sécurité, de la défense, des domaines touchant à la sécurité - dont je sais qu’ils connaissent bien les sujets. Certains ont des titres flous, vu leurs fonctions dans le renseignement. 

Q : Et puis aussi il y a quand même un aspect travail collégial, la plupart des auteurs de la revue travaillent pour le CNAM.

  1. R. : Le comité de rédaction d’une revue, ce sont des gens en qui on a confiance, les pairs, les collègues, dont le travail est reconnu. Certains viennent du CNAM, d'autres non.

Q : Dont la véracité de leur travail est reconnu dans leurs faits ? 

  1. R. : Ils ont écrit des livres, des articles, on les consulte comme experts ou sont connus comme étant très capables, dans leur profession. 

Q : Pourriez vous nous en dire plus à propos de l’histoire de la revue Sécurité Globale ou même, si vous préférez, de votre expérience concernant cette revue. 

  1. R. : Pascal Lorot, fondateur de la revue, avec qui je m'entendais fort bien d'ailleurs, a un jour spécialisé son institut dans les relations internationales ; il a donc gardé une revue spécifique et revendu les autres. Serge Keb. les a rachetées et m'a confié Sécurité Globale. Ensuite bien sûr, il à suivi de près les premiers numéros, voir si je ne faisais pas de faux pas.

Q : … Si vous n'orientiez pas la publication ? 

  1. R. : Je n'en avais nulle intention : ce qui m’intéresse, c’est le domaine du possible, la prospective, les idées nouvelles. Gardons en tête que les articles d'une revue doivent être écrits par des gens ayant une expertise ; d'où la nécessité de saisir qu'un expert n’est pas celui qui a l’expertise mais celui qui a l’expérience. Prenons la médecine : au chevet d’un malade, le médecin écoute, ausculte, se fait une première idée du malade : le gamin a 40 de fièvre, grelotte, tremble, a chaud puis froid ... ça ressemble à la grippe mais dix maladies présentent d'initiaux symptômes similaires : la malaria etc. Cette première approche est un pronostic. Partant du pronostic, pour éviter les faux-positifs, on pratique des examens biologiques ou radiologiques permettant à l'expert d’aller du pronostic au diagnostic. Avec ce dernier, le médecin préconise un traitement. Plus il a vu de tels cas et de malades dans sa vie, plus ses diagnostics sont justes et avérés et permettent des traitements sérieux. Dans notre domaine, la revue académique est par essence le lieu du diagnostic. En outre, l’expert parle sans intentions ultérieures, il n’a pas à vendre de colifichets, ni à faire la morale à l’humanité souffrante. Il pose un diagnostic, puis explique « voilà mon idée du problème, mais je suis pas seul en cause donc partageons, voyons ». Ainsi, les idées circulent et dans son ensemble, la communauté scientifique en tire une vision des choses ou plus profonde ou plus claire - voire les deux. 

Q : Que pensez-vous de l’état des revues, édition, etc., en France/Europe, (Eska face à ses concurrents) ? 

- X. R. : Je me suis toujours méfié de la "médecine de Molière", des gens en place qui prolongent les courbes et disent « j’ai déjà vu ça mille fois, c’est comme toujours, etc.»…Ce ne sont pas de vrais experts ; un vrai expert doit être humble. Quand les choses changent, il ne doit pas balayer la poussière sous le tapis. Ces faux experts, on en trouve souvent dans les académies : mandarins, gens couverts d’honneur ; à la fin ils finissent par n'y plus voir très clair. 

Cas inouï : l’académie des sciences britannique. Au XIXe siècle, un explorateur revient d'Australie avec un ornithorynque VIVANT. Il demande à l'académie comment classifier ce fort atypique animal, part-mammifère, part-ovipare. L’académie britannique observe la bête vivante, puis vote en majorité qu'elle n’existe pas. Cela s’appelle l’académisme, des gens pris dans des carcans rigides « ça a toujours été comme ça, ça ne sera jamais autrement ».

Je me suis souvent heurté à ça : quand j’ai commencé à étudier le terrorisme dans la décennie 1980 (mon premier livre là-dessus date de 1982) on me croyait fou. « Ce n'est pas le problème, etc. ». Je travaillais alors à l’Institut d’Histoire Sociale, je l’ai quitté car je n’arrivais pas à les convaincre… Or dix ans après, le phénomène était planétaire. Voilà pourquoi je me méfie des structures rigides. Il faut de la souplesse, laisser les portes ouvertes, laisser les gens s’exprimer ; que de nouveaux auteurs posent les questions à leur façon. Pour cela, une revue est idéale.

Q : Du coup cet académisme est selon vous l’était de la publication des revues dans les domaines de l’édition en France et en Europe ? 

  1. R. : Je m’extasie rarement devant les revues de mon domaine, francophones ou anglophones. C’est souvent assez convenu. D'abord, nul ne voulait étudier le terrorisme ; après, il n'était plus question que de ça. Deux décennies plus tard, nous fûmes plusieurs à alerter sur la transition du terrorisme traditionnel aux hybrides - et ceux qui, vingt ans avant, rejetaient le terrorisme, ne voulaient ensuite plus en sortir ! Ainsi, les Etats-Unis se sont trouvés en grand danger voici vingt ans - et aujourd'hui encore, ils peinent à y voir clair. Après le 11 septembre 2001, Washington a lâché des milliards de dollars pour que se créent, dans toutes les universités, des instituts d'étude du terrorisme. Or bien sûr, sérieusement étudier le terrorisme est impossible dans un institut étroitement voué à l’étude du sujet. Étudier tout phénomène par le petit bout de la lorgnette interdit de voir si, hors de la focale, apparaît même un gorille de 300 kilos ! 

Ainsi fut ratée la mutation de l'hybride. Toute mutation provient d'énormes pressions (terrorisme : répression ou changement de société). Exemple : quand tout le monde a un portable en poche, le terrorisme façon IRA ou ETA-décennie 1980-90, devient impossible ! De deux choses l’une : vous avez un portable en poche et la police vous situe à un mètre près ; ou vous n’en avez pas et vous êtes un terroriste : échec et mat. L’accès planétaire aux terminaux de poche fait qu'est terroriste, le seul (ou presque) à ne pas l'avoir. Ça a bien sûr provoqué des mutations et le repli des terrorismes sur des fiefs, type Etat Islamique. Cette mutation fut ratée par ceux qui étudiaient le terrorisme depuis dix ou vingt ans, sans évoluer. 

Q : Par académisme ? 

  1. R. : Oui. Là est le plus dommageable. Seconde erreur fatale de ces instituts d'étude du terrorisme : répondre aux questions que leur pose l’Etat ou l’UE ; répondre aux pouvoirs constitués. À la fin de la guerre froide, j'ai dirigé une grande étude pour la Délégation Générale à l’Armement, pépite nationale héritière des arsenaux de la royauté. Le directeur général pour l’armement m’avait dit « on est sortis de la guerre froide, le matériel d'avant ne sert plus à rien ». Ainsi, la France fabriquait des fusées à courte portée pour la bataille en centre-Europe contre le Pacte de Varsovie ; l'Europe réunifiée, ces fusées cibleraient Prague... et Vaclav Havel ! Il fallait donc étudier nouvelles menaces.
    Au ministère de la défense j'ai alors rencontré les financeurs de telles études et leur ai dit : peut-être n’avez vous jamais fait ça : je vous demande de payer pour une étude que vous n’avez pas commandée, je ne sais moi-même ce que je trouverai, ce qu'il en résultera. Eh bien, cela est aisé avec une revue type Sécurité Globale. Même si au-delà des efforts particuliers, l’Etat doit apprendre à commander des recherches ouvertes et non payer des revues d'esprit académiste ou servile lui apprenant (avec retard...) ce qu’il sait déjà - ce qui est bien sûr inutile.

Q : Comment les revues d’Eska se démarquent-elles des autres revues de sciences humaines ? 
X. R. : Il y existe une grande pluralité d’expressions - même, des experts européens travaillant pourtant auprès d’institutions sensibles, acceptent d’y écrire sur des sujets ouverts. 

Q : Parce que sinon ce sont des sujets fermés et qu’ils n’iraient pas vers ces sujets là parce qu’ils ne peuvent pas de toute façon y répondre. 

  1. R. : Par définition, les sujets nouveaux ne sont pas encore classifiés : si je veux publier la formule secrète de la bombe atomique, on me dira compromission du secret-défense, dix ans de prison - rien de semblable sur un sujet neuf. Même, quand à Washington, j’ai participé à à des réunions de haut niveau avec des gens de la CIA et autres, nous étions libres d'évoquer l’avenir : le futur n'est pas classifiable. 

Si à tel moment, telle information est classée secrète c'est bien sûr qu'elle est déjà connue ; dans le champ prospectif c’est différent. En matière de stratégie, j’essaie d'agir ainsi dans Sécurité Globale : parler prospective, peu d'histoire. Il y a cependant dans la revue la rubrique Profondeur Stratégique, ses articles portent sur le passé - s'ils éclairent ce qui peut advenir demain, ou ce qui arrive aujourd’hui. Par ailleurs, on publie des extraits de textes nommés Précurseurs sur des gens extraordinaires qui ont su pré-voir. Exemple : depuis peu, existe l’internet des objets - qui a bien sûr une face criminelle : on peut le pirater. Dès lors qu'une porte s’ouvre avec empreinte digitale au lieu d'une une clé en métal, on peut pirater le logiciel dédié. 

Q : Et demander une rançon ? 

  1. R. : Exactement. J’ai ainsi publié l’extrait d’un roman du splendide auteur de science-fiction Philip K Dick. Dans une nouvelle de 1969, il fait dialoguer un individu voulant sortir de chez lui et sa cyber-serrure. Celle-ci lui dit "pour sortir, introduisez une pièce de 5 cents, svp". L'homme répond qu’il n'a pas à le faire car c'est de l’ordre du pourboire. La serrure répond : "non, c’est dans le contrat". Enfin, l’homme dévisse la serrure, qui le menace dans un râle "demain, tu es bon pour un procès ". C’est tellement ça - et ce fut écrit en 1969.
    Il y a donc des précurseurs : savoir comment et pourquoi est intéressant. Exemple, la guerre de Sécession éclate en 1860. En 1835, un auteur décrit une guerre entre le Sud et le Nord, en un livre hallucinant de réalisme… Pourquoi des gens voient-ils ? C’est ça qui m’intéresse le plus : publier des articles ouvrant les yeux sur ce qui émerge, devant nous sur la route. Pas "madame Irma voyante" bien entendu, des études montrant des symptômes, des éléments précurseurs.

Q : Oui je vois - c’est ce qu’on appelle des triggers.

  1. R. : Oui les déclencheurs : quand je lis un article de ce type, je le publie ! Certes, le monde académique tend plutôt à radoter sur les mêmes sujets mais il y a de bonnes surprises. Un étudiant, Mehdi A., m’a contacté par mail. Vivant à Saint-Ouen, Seine-Saint-Denis, il y a étudié les trafics de stupéfiants. Superbe analyse ! Bien plus lucide, plus réaliste, que les usuels textes sur ce thème. Ce sont ces sujets qui m’intéressent. 

Q : Que pensez-vous de la nécessité de passer les revues en anglais et de la numérisation de celle-ci ? Ce processus de reconversion est-il bien nécessaire ? 
X. R. : J’ai décidé de ne pas donner d’abstract anglais dans Sécurité Globale : on n'a pas à faire le boulot des anglophones à leur place, nous ne sommes pas une colonie. Si ce qu'on publie les intéresse, ils font traduire, il ont des structures pour. En revanche, la numérisation bien sûr, elle permet de faire circuler les articles. Pouvoir cliquer et envoyer un PDF à l’autre bout du monde est fort pratique. Le processus de numérisation et l’accès aux archives sont vraiment un progrès. 

Q : Ou comme le site Cairn.

  1. R. : Exactement. 

Q : Le format, la forme d’une revue influence-t-elle le contenu ? 
X. R. : J’avais écrit dans Sécurité Globale de Pascal Lorot, et, voulant changer le fond, je n’ai pas changé la forme en hommage à la revue initiale ; et pour ne pas non plus bousculer les lecteurs et abonnés. Autant qu'ils retrouvent au moins un élément inchangé depuis le N° 1. La revue est publiée 4 fois l’an, elle pourrait être bimestrielle mais le patron d'ESKA a préféré la faire "grossir" (au départ, elle avait 120 pages) à 160 pages, 4 fois par an.

Q : Ce type de revue pourrait-il être vecteur du progrès de la recherche en sciences humaines, un espace sans jeux d’influences ni d’intérêts économiques en Europe ?

  1. R. : On a déjà progressé. Même si, dans le contexte COVID-19, ça prendra quelques mois à advenir. Eska publie une autre revue, le Journal de Médecine Légale, JML, vénérable institution de plusieurs décennies d’existence. Il y a entre cette revue et Sécurité Globale un énorme champ commun - toxicomanie, homicides, terrorisme. Nous publierons bientôt, en même temps dans les deux revues, une recension des nouvelles majeures en criminologie et criminalistique (la recherche des preuves par moyen scientifique, ADN, balistique...). Nous ferons ça en commun puis élargirons l'expérience, à d'autres revues francophones au début.

Q : Donc c’est en cours, cela débute, mais avec les institutions, nous sommes d’accord que le dialogue est inexistant ? Les institutions ne sollicitent pas les experts d’une revue ? 

X. R. : Si, mais dans un cadre national. Ces demandes discrètes émanent de diverses institutions du régalien. Ces questions, comme leurs réponses, ne sont jamais publiées.